Quels outils pour un nouvel ELAN de l’aménagement ?
La loi portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) a été adoptée le 16 octobre 2018. Récemment validée par le Conseil constitutionnel, elle sera promulguée dans les prochains jours et permettra l’application directe d’une partie des mesures. Elles s’articulent principalement autour de deux grands volets, un premier sur le logement et le logement social et un second sur l’aménagement. Ce dernier a pour objectif principal de favoriser la réalisation d’opérations comprenant plusieurs milliers de logements en créant de nouveaux outils d’une part, et en poursuivant la démarche de simplification des normes engagée durant la mandature précédente d’autre part. La loi ELAN crée en particulier trois nouveaux outils pour l’aménagement et la revitalisation des territoires dont le point commun est de reposer sur de nouvelles modalités de partenariat entre l’Etat, les collectivités et éventuellement les acteurs privés.
Projet Partenarial de l’Aménagement, Grande Opération d’Urbanisme et Opération de Revitalisation de Territoire : quels effets et dans quelles temporalités ? Examinons ici les modalités et les implications de ces trois outils et des simplifications qui les accompagnent.
Projet Partenarial d’Aménagement (PPA) : offrir une gouvernance concertée aux projets complexes
Le PPA est un contrat entre une intercommunalité et l’Etat. Il vise à définir un projet de territoire, comprenant notamment des objectifs de production de logements. Le partenariat est ouvert aux différents acteurs concernés par une opération urbaine, y compris les acteurs privés, afin de formaliser les engagements de chacun. Il autorise notamment la création d’une Grande Opération d’Urbanisme dans son périmètre.
Il permettra de :
- Mobiliser des financements d’Etat, des collectivités et des partenaires privés pour co-financer les opérations
- Faciliter la libération de foncier, notamment des terrains issus du domaine privé de l’Etat
La Grande Opération d’Urbanisme (GOU) : lever les freins à la réalisation d’opérations d’aménagement majeures
La GOU peut être créée dans le cadre d’un PPA, dès lors que les enjeux de l’opération dépassent l’échelle locale. Sa vocation est d’accélérer la réalisation d’opérations d’aménagement en transférant à l’intercommunalité, avec l’accord des maires, la maîtrise d’ouvrage des équipements et la délivrance des autorisations d’urbanisme.
Elle permettra de :
- Renforcer l’ingénierie de projet : dans le cadre d’une GOU ou d’une OIN, les Établissements Publics d’Aménagement (EPA) et les Établissements Publics Fonciers d’Aménagement (EPFA) pourront, pour le compte de l’Etat ou de collectivités territoriales, assurer des missions de conseil et d’expertise, de constitution de filiales prenant la forme de société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN) ou de société d’économie mixte d’aménagement à opération unique (SEMAOP), ou encore intervenir en qualité de concessionnaire de l’opération d’aménagement.
- Accélérer la mise en compatibilité des documents d’urbanisme via une procédure intégrée sur le modèle de la Procédure Intégrée pour le Logement (PIL).
- Lever des blocages techniques à l’innovation : l’extension du « permis d’innover » aux GOU permettra de déroger aux réglementations de droit commun à condition de démontrer que sont atteints des résultats satisfaisant aux objectifs poursuivis par les règles auxquelles elle a dérogé.
- Lever des blocages politiques en transférant le pouvoir à l’EPCI/Métropole : Le transfert à l’EPCI des autorisations d’urbanisme et d’utilisation des sols, contribue à déplacer la décision de l’échelon communal vers l’échelon intercommunal.
De même, un EPCI peut passer outre l’avis d’un maire s’opposant à la création d’un équipement ou plus généralement à celle de la GOU, en en confiant l’arbitrage au préfet. A l’inverse, un maire ne disposant pas des moyens pour réaliser un équipement pourrait en confier la maîtrise d’ouvrage à l’EPCI.
Le renforcement des responsabilités de l’EPCI s’inscrit dans un mouvement d’éloignement de la compétence aménagement de l’échelon local engagé en 2014 par la loi ALUR. Si le renforcement du rôle des intercommunalités dans l’aménagement se justifie par des projets dont les enjeux dépassent bien souvent les contours d’une commune, cela pose néanmoins la question de l’éloignement de la décision politique, et par là même des citoyens, des projets.
Opération de Revitalisation de Territoire (ORT) : mettre en œuvre une approche transversale et intégrée de revitalisation des centres-villes
L’ORT réunit au sein d’un même contrat, signé par les partenaires concernés publics et privés, l’ensemble des dispositifs d’intervention liés à l’habitat, au développement économique et commercial, le patrimoine ou encore les mobilités. L’objectif est de traiter de manière globale et transversale la problématique de dévitalisation des centres-villes. Conclue à l’échelle intercommunale, elle comprend un large périmètre d’étude, un périmètre ciblé d’intervention pouvant faire l’objet de dérogations au droit commun et des secteurs spécifiques sur lesquels se concentreront les moyens et actions définis dans le contrat.
L’ORT constituera notamment l’outil juridique principal d’Action Cœur de ville dont la mise en œuvre débutera en 2020. Elle ne se limitera pas aux 222 villes lauréates du programme, en revanche, chaque convention Cœur de ville devra être adossée à une ORT.
Elle permettra de :
- Améliorer la maîtrise des implantations commerciales grâce à des dérogations en matière d’autorisation d’urbanisme commercial : afin d’attirer des locomotives commerciales dans les centres, les commerces de moins de 5 000 m² et les surfaces alimentaires de moins de 2 500 m² désirant s’implanter en centre-ville seront exonérés d’autorisation d’exploitation commerciale. Afin d’atténuer les effets de concurrence commerciale entre centre et périphérie, le préfet pourra autoriser une suspension des projets d’implantation de commerces en périphérie hors périmètre ORT pour une durée de 3 ans (avec possible prorogation d’une année).
- Simplifier les démarches pour les collectivités et faciliter l’accès aux aides de l’Etat et ses opérateurs : un contrat rassemblera les différentes actions et engagements, un guichet unique centralisera les demandes de financement et un comité local de coordination sera mis en place, dans l’objectif d’éviter la multiplication de démarches contractuelles parallèles.
- Favoriser la cohérence du projet en autorisant le recours à un permis multi-sites.
- Allouer des moyens financiers : 5 milliards d’euros seront consacrés au programme « Action Cœur de ville » sur 5 ans, comprenant des participations de la Caisse des Dépôts, Action logement et de l’ANAH. La Dotation de soutien à l’investissement local, maintenue en 2018 et représentant 615 millions d’euros, sera également mobilisée.
La modification de l’ORCAD, opération de requalification des quartiers dégradés, vers un dispositif contractuel ensemblier, l’ORT, constitue une avancée. Cependant, si les élus et les aménageurs saluent cette mesure, beaucoup s’inquiètent de la sécurisation et de la pérennisation des moyens financiers et ce, d’autant plus que les effets ne se verront qu’à moyen terme. Par ailleurs, si l’enveloppe générale pour Action Cœur de ville est importante, une fois répartie entre les lauréats elle représente une moyenne d’environ 2,25 millions d’euros par projet sur 5 ans, soit un budget ne permettant pas de mettre en œuvre des actions majeures. De plus, ces fonds concernent le seul dispositif Action Cœur de ville, qui constitue une partie seulement des ORT. Enfin, si la création d’un mode de gestion plus transversal est souhaitable, des incertitudes demeurent quant au temps nécessaire à sa mise en œuvre effective et à la mise en place d’une organisation opérante.
Une simplification des normes et règles
Dans la continuité de la mandature précédente la loi prévoit un certain nombre de simplifications visant à raccourcir les délais de construction. On en retient ici quelques exemples.
Alléger les procédures qui s’imposent aux opérations d’aménagement notamment :
- Des dérogations à la loi MOP : La loi de 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique (MOP) a pour objectif de bien identifier et cloisonner le rôle des acteurs, avant tout entre le concepteur et le réalisateur des travaux. La relative disparition de la maitrise d’ouvrage publique dans la définition des marchés publics de travaux et l’utilisation exponentielle des marchés globaux avaient déjà fortement fragilisé ce cadre juridique. En étendant les exceptions aux principes fondateurs de la loi MOP, la loi ELAN poursuit son progressif démantèlement. Aussi, cette dernière ne s’appliquerait plus, notamment, aux ouvrages d’infrastructure situés dans le périmètre d’une GOU ou d’une OIN, ni aux ouvrages réalisés dans le cadre d’une concession d’opération d’aménagement. Ces mesures vont dans le sens d’une approche quantitative de l’aménagement de plus en plus basée sur des contrats globaux, une approche très favorable au milieu de la construction et nettement moins à celui des architectes.
- La participation au coût des équipements publics des constructeurs qui n’acquièrent pas de terrains auprès de l’aménageur est facilitée et pourra être versée directement à la personne publique à l’initiative de l’opération d’aménagement, tel un établissement public y ayant vocation, ou à l’aménageur.
- Un allègement des contraintes juridiques qui pèsent sur la ZAC et sur le permis d’aménager sera poursuivi par ordonnances ; il est notamment prévu la rationalisation du recours aux procédures de participation du public afin d’avoir recours à la procédure d’enquête publique au stade le plus approprié du processus d’aménagement.
Adapter certaines normes notamment :
- Les normes d’accessibilité pour envisager la conception de logements évolutifs davantage en phase avec la demande. Aussi, il s’agirait de passer du « tout accessible » (ainsi que l’impose aujourd’hui la loi Handicap de 2005) au 100% « évolutif » en ne maintenant plus qu’un quota de 20% de logements accessibles.
- Les règles d’allotissement de la commande publique et les échéanciers de paiement pour faciliter l’émergence de solutions de construction « préfabriquées » car facteur de chantiers plus courts et de moindre nuisance pour le voisinage
PPA, GOU, ORT : quels effets et dans quelles temporalités ?
Un nouvel élan…à inscrire dans la durée – La loi ELAN cherche à rationaliser les processus et donner de nouveaux outils afin de construire beaucoup et plus rapidement de nouveaux logements et revitaliser les centres-villes. Les effets ne seront cependant visibles qu’à moyen terme. Aussi, il importe de sécuriser et de pérenniser les moyens financiers dédiés afin que ces mesures au service d’un nouvel élan de construction et de revitalisation parviennent à se muer en une politique de long terme, opérante.
Simplifier sans complexifier ? Les simplifications, adaptations et dérogations sont au cœur de la loi. Si l’instauration d’un « gel normatif » durant le quinquennat de construction aspire à nous prémunir d’une inflation règlementaire, seul le temps donnera le recul nécessaire à l’évaluation de la portée effective ou non de ces simplifications.
Construire vite, mais des formes d’habitat qualitatives ! – Le démantèlement progressif de la loi MOP avec notamment une certaine généralisation de la conception-réalisation ne nous expose-t-il pas au risque de retomber dans certains travers d’un urbanisme sous le régime de l’urgence et le règne du quantitatif dont l’on tente encore de réparer les dégâts ?