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La tribune de Sybil Cosnard

La ville verticale, un modèle (in)désirable ?

Aujourd’hui, la moitié de la population mondiale vit en ville. En 2050, ce taux avoisinera les 70%, soit 6 milliards d’êtres humains qui se concentreront… sur 2% du territoire. La densification urbaine est devenue un enjeu stratégique. De nombreuses métropoles, aux quatre coins du globe, ont recours à la construction de grande hauteur pour y répondre. Mais en France, ce modèle demeure mal considéré et continue de susciter des craintes. La ville verticale peut-elle être désirable ?

La verticalité, une réalité encore marginale en France

Dans l’imaginaire collectif, l’architecture verticale est associée à l’idée même de ville. Les immeubles de grande hauteur symbolisent ainsi la ville dense et intense. En France, comme chez beaucoup de nos voisins européens, la réalité est pourtant tout autre : les tours y sont l’expression d’une représentation futuriste de la ville. Dans les faits, le développement de transports en commun de plus en plus efficients et rapides a surtout rendu possible une croissance urbaine horizontale, avec le développement de petites unités d’habitation peu élevées.

L’habitat individuel de type maison ou pavillon reste en effet associé à un certain idéal de qualité de vie. Dans l’esprit d’une majorité de Français, la maison individuelle est la meilleure réponse aux besoins d’une famille en termes d’espace, d’intimité et de confort. C’est aussi la forme d’habitat qui offre le plus de possibilités en termes d’appropriation et de transformation. 74% des Français déclarent ainsi préférer vivre dans une maison plutôt que dans un appartement [1].

Corollaire de cette représentation idéale de la maison individuelle, la verticalité a encore une très mauvaise image dans notre pays – pour beaucoup, elle est synonyme d’entassement, de promiscuité et de manque d’espaces verts. Il faut reconnaître qu’en Europe, pendant longtemps, l’implantation des tours obéissait à deux schémas : la tour était soit plantée au milieu d’un parc, soit posée sur une dalle hors sol, l’isolant par là même du tissu urbain et de la vie de quartier.

Soucieux de répondre aux aspirations de leurs administrés, les élus, et en particulier les maires, sont quant à eux tentés de reproduire le modèle de la ville horizontale. Nous le constatons fréquemment chez City Linked, les projets présentant une certaine hauteur sont encore difficilement défendables politiquement. Ils sont souvent mal compris et vivement critiqués. C’est ainsi que le modèle perdure : en 2016, près de 40 % des logements construits en France étaient des logements individuels.

Les vertus de la densité

Le coût de l’étalement urbain, notamment environnemental, est pourtant largement démontré. Le développement de l’habitat pavillonnaire repousse toujours plus loin les limites des agglomérations et conduit à une consommation excessive des terres agricoles. En France, ce sont ainsi 70 000 hectares de terrains vierges qui sont artificialisés chaque année pour permettre de nouvelles constructions.

L’usage de l’automobile associé à ce modèle a également des impacts sur la pollution de l’air. Quant à l’augmentation du prix du carburant, elle a un impact social sur le quotidien des ménages. En bref, il apparaît désormais clairement qu’une ville qui ne grandirait qu’à l’horizontal n’est pas un modèle durable.

En France, l’impératif environnemental s’accompagne d’une crise du logement qui conduit à repenser les anciens modèles urbains. Depuis une quinzaine d’années, les volumes annuels de construction de logements y sont en effet largement inférieurs aux besoins.

Dans ce contexte, la densification est devenue un enjeu essentiel pour l’aménagement urbain et la construction de « la ville sur la ville » s’impose comme un nouveau paradigme. L’exigence d’une consommation raisonnée de l’espace s’est d’ailleurs traduite dans la loi : avec la loi SRU, les lois Grenelle 1 et 2 et les documents d’urbanisme locaux, la densification est désormais un objectif réglementaire.

Si l’on écarte la part d’irrationalité qui nous la fait rejeter, on constate que la verticalité constitue l’un des leviers possibles pour tendre vers une ville dense et durable. Elle ouvre la voie à la ville des courtes distances, elle permet des économies d’échelle, elle favorise l’accessibilité aux services et aux équipements et peut, in fine, renforcer l’attractivité urbaine.

L’enjeu : rendre la verticalité désirable

La verticalité n’est pas une finalité en soi. Mais elle apparaît bel et bien, à l’heure actuelle, comme l’une des pistes à explorer pour répondre au défi de la densification urbaine. Tout l’enjeu consiste donc à la rendre désirable, c’est-à-dire à changer le regard qu’habitants et élus portent sur elle. Pour cela, au même titre que la ville, la grande hauteur doit être réinventée, en prêtant attention à trois points en particulier.

Avant de faire le choix de la verticalité, il faut d’abord veiller à l’environnement dans lequel elle va s’insérer. Les niveaux de densité et la hauteur doivent avant tout être mesurés en fonction du tissu urbain existant. Faute de quoi l’insertion des nouveaux ensembles verticaux dans les quartiers préexistants risque d’échouer.

Les constructions verticales doivent en outre cultiver leur rapport au sol – il s’agit là d’une autre condition sine qua non à leur insertion urbaine. Je dirais même que plus la hauteur est importante, plus le rapport au sol doit être soigné. Les espaces publics ancrés au sol doivent donc être valorisés en faisant l’objet d’une attention toute particulière et d’un traitement très qualitatif.

Enfin, n’oublions pas qu’avant d’être un objet architectural, une tour est un lieu de vie. Ces nouveaux immeubles doivent donc être pensés pour répondre aux besoins de leurs occupants. On pourrait même imaginer des façons d’habiter dans ces tours qui offrent des avantages spécifiques : ouverture des vues, confort des espaces de vie ou de travail, mise à disposition de nouveaux services et usages à l’échelle de l’immeuble ou du quartier etc. – toutes les dimensions peuvent être travaillées.

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La construction de « la ville sur la ville » apparaît désormais comme un nouveau paradigme et la verticalité comme l’une des solutions pour renforcer la densification urbaine. Dans ce nouveau contexte, il revient aux professionnels de l’aménagement de rendre la verticalité désirable pour favoriser son insertion dans la ville. Mais il y a également un important travail à fournir pour former les décideurs et faire évoluer les mentalités. Il faut notamment sensibiliser les citoyens à la différence entre « densité réelle » et densité « perçue », qui empêche bien souvent d’apprécier objectivement la qualité des projets urbains. Pour changer le regard sur la verticalité, notre écosystème doit donc à présent faire preuve de pédagogie.

[1] Philippe PANERAI, Paris Métropole – Formes et échelles du Grand Paris, Éditions de la Villette, Paris, 2008.

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